Étirement et compression








1. La côte landaise depuis Anglet (Pyrénées-Atlantiques, décembre 2024)

Un phénomène inhabituel a été observé depuis Anglet (Pyrénées-Atlantiques) en décembre 2024 vers la côte landaise située au nord alors que les montagnes espagnoles, au sud-ouest, ne subissaient aucun mirage ni effet particulièrement intense de la réfraction. Les photographies réalisées sont floues en raison des turbulences atmosphériques importantes : cette journée et la précédente (cf. description sur cette page) ont eu des températures d'une douceur inhabituelle qui faisaient suite à une séquence plus fraîche de plusieurs jours.

La zone lointaine adéquate pour l'examen du phénomène est le sémaphore de Messanges (Landes) et la côte sableuse qui s'étend sous lui, l'ensemble étant distant de 37,5 km. Le point d'observation est situé à l'altitude de 48 m. Les images 1.1, 1.2, 1.4, 1.5 et 1.6 ont été réalisées lors de ce même jour mais 1.3 a été effectuée deux jours avant et sert de comparaison. L'image 1.1 est une vue générale qui montre un très fort étirement vertical pour la bande de sable avec, au-dessus, une couche au contraire très comprimée qui comprend la forêt landaise et le sémaphore réduit à un point blanc. L'image 1.2 en est la zone centrale et permet une meilleure vision de l'étirement vertical et de la zone comprimée. L'image 1.3 montre le sémaphore et la côte en situation standard, c'est-à-dire sans mirage ni effet extrême de la réfraction. Cette photographie a été réalisée exactement au même endroit, mais avec une atmosphère beaucoup moins perturbée et plus froide ; elle est présentée ici avec exactement le même cadrage que 1.2. L'alignement des images 1.2 et 1.3 a été effectué avec, comme référence, la digue de l'embouchure de l'Adour (dont l'extrémité est visible dans l'image 1.4 et l'ensemble dans 1.6), ce qui permet de mesurer que, dans l'image 1.2, la base du sémaphore est surélevée de 7,4' par rapport à l'image 1.3. La zone sableuse a une hauteur de 6,2' dans 1.2 et 2,1' dans 1.3 ; son allongement vertical est donc de 4,1'.

Dans l'image 1.4, la ligne de l'horizon marin montre de fortes irrégularités causées par les variations locales importantes de la réfraction. La bande sombre qui la surmonte est une couche de brume dont la limite supérieure est dans le prolongement de la limite supérieure de la zone très perturbée de 1.1. La zone de transition entre cette dernière et la couche de brume est visible dans l'image 1.5 : dans la partie droite on distingue la forêt landaise comme une fine bande sombre qui s'amenuise vers la gauche, et qui disparaît complètement vers le milieu de l'image, au profit de la bande de brume gris foncé. Une vue générale est proposée dans la composition 1.6 où le sémaphore est indiqué par un trait blanc au centre (cliquer sur l'image pour l'agrandir et la déplacer avec la barre horizontale qui apparaît). Le phénomène ne se limite donc pas au trajet de la lumière, il concerne aussi les aérosols. L'explication est probablement celle d'une situation étudiée par Luc Dettwiller dans son article "Phénomènes de réfraction atmosphérique terrestre"1 : une bande où les aérosols sont confinés en raison de la température qui y est inférieure à celle de la couche supérieure.

L'observation de l'image 1.2 correspond à un étirement vertical très important qui s'applique à une image droite sans être accompagné d'une deuxième image. La présence d'une zone d'inversion du gradient de température (couche chaude au-dessus d'une couche froide) agit comme un guidage de la lumière, comme pour un mirage supérieur. Une analyse détaillée de cette configuration, portée par la notion de "chenal optique", est donnée par l'article cité précédemment1, dont on rapprochera la figure 16 de l'image 1.1. Andrew T. Young et Eric Frappa ont publié des photographies spectaculaires avec des modélisations numériques dans "Mirages at Lake Geneva: the Fata Morgana"2 où des zones étirées surmontées de zones comprimées apparaissent de façon remarquable.



1.1


1.2 Zone centrale de 1.1.


1.3 Même cadrage que 1.2 deux jours avant.


1.4 La digue de l'Adour.


1.5 Zone de transition entre les dunes à droite et la brume marine.


1.6 Vue générale.


2. L'Océan Atlantique depuis Biarritz (Pyrénées-Atlantiques, novembre 2024)

Un autre événement spectaculaire s'est produit un mois plus tôt, vu cette fois depuis l'esplanade du phare de Biarritz, vers le nord, à l'altitude de 33 m. Ici encore l'image 2.1 est floue, mais on peut discerner que la zone située immédiatement sous l'image très comprimée du sémaphore de Messanges est dépourvue de vagues, qui pourtant apparaissent normalement un peu plus bas. En transformant l'image en noir et blanc et en agissant de façon importante sur le contraste, un étirement vertical de 2,5' devient discernable (2.2). Il s'agirait donc d'une situation semblable à la précédente : étirement fort avec compression au-dessus sans apparition d'une autre image. L'image 2.3 correspond à une situation standard, observée un autre jour de novembre 2024 au même endroit, dans laquelle la houle est mieux visible. En l'absence de repère fixe, les images sont alignées par rapport au niveau de l'eau.

Dans leur article déjà cité2, Andrew T. Young et Eric Frappa expliquent que ce phénomène est identique à celui de la "barrière de mer" (ou "mur d'eau") provoqué par l'existence d'une couche avec inversion du gradient de température au-dessus du point d'observation. Cette situation, plutôt rencontrée dans les zones nordiques, est analysée dans ces deux articles :
- Waldemar H. Lehn et Irmgard I. Schroeder, "Hafgerdingar: a mystery from the King’s Mirror explained"3, où les auteurs mesurent un étirement de 6', 9.5' et 8' dans les trois cas étudiés, le phénomène pouvant aller jusqu'à 30' ;
- Siebren van der Werf, "Novaya Zemlya effect and Fata Morgana. Raytracing in a spherically non-symmetric atmosphere"4.



2.1 Novembre 2024.


2.2 Idem que 2.1 en noir et blanc.


2.3 Novembre 2024.


2.4 Idem que 2.1 en plan plus large.

2.5 Détail de 2.4 pour l'objet n° 1.


2.6 Détail de 2.4 pour l'objet n° 4.

Si on examine l'image 2.1 du sémaphore plus précisément, il apparaît très comprimé verticalement par rapport à son aspect habituel avec une hauteur de 1.6' en 2.1 par rapport à 3.1' en 2.3, c'est-à-dire que sa hauteur est divisée par 2 ! Il s'agit bien d'une compression de l'image de l'ensemble du bâtiment et pas d'une troncature de la partie basse du pylône car, à la base de celui-ci, on détecte faiblement une ligne sombre horizontale qui s'étend vers la droite et qui correspond au sommet de la forêt landaise, dont le prolongement vers la côte est visible dans la photographie 2.4 (à agrandir en cliquant puis se déplacer avec la barre inférieure). Sous la base du pylône, une zone apparemment vide et très fine semble exister au-dessus de la ligne de l'horizon marin. Le poste d'observation du sémaphore est à l'altitude de 75 m (hauteur 63 m5 + altitude de la base 12 m6).

Un dernier élément doit être apporté pour une description complète de cet événement exceptionnel : la déformation des rayons lumineux issus de sources présentes dans la zone où se forme le "mur d'eau". Dans l'image 2.4, qui est la même que 2.1 mais avec un cadre plus large, cinq objets sont numérotés : les numéros 1, 2 et 4 sont situés dans la zone perturbée par la réfraction, le n° 3 est une bouée verticale au début de cette zone et le n° 5 est un petit bateau très en avant. La bouée et ce bateau ne sont pas affectés par le phénomène et apparaissent normalement. Au contraire, le n°1 montre de façon évidente une ligne de symétrie (image 2.5) tandis que les images des n° 2 et 4 sont imprécises. Le bateau n° 5 est situé dans le prolongement de la digue de l'embouchure de l'Adour à Anglet, à 4,6 km. Le phénomène se forme donc quelque part entre 4.6 km et 37.5 km, la distance du sémaphore.

Dans son article déjà cité4, Siebren van der Werf propose une simulation pour une configuration similaire : des icebergs flottant dans la bande où apparaît le "mur d'eau". Il obtient, dans sa figure 14, que ceux-ci peuvent apparaître avec une image droite au-dessus d'une image inversée, étirés ou comprimés, ce qui est à rapprocher de l'objet n° 1.



3. La Lune (Haute-Garonne, décembre 2021)

Deux jours après la Pleine Lune de décembre 2021, un étirement très marqué de 2,2' de la partie inférieure de la Lune (entre les lignes blanches) a rendu méconnaissables les détails de sa surface.



3.1




Références :
1 : Luc Dettwiller, Académie des Sciences, Comptes Rendus Physique, Volume 23, Special Issue S1 (2022), p. 103-132
2 : Andrew T. Young et Eric Frappa, Vol. 56, No. 19, 1er juillet 2017, Applied Optics
3 : Waldemar H. Lehn et Irmgard I. Schroeder, Polar Record 39 (210): 211–217 (2003)
4 : Siebren van der Werf, Académie des Sciences, Comptes Rendus Physique, Volume 23, Special Issue S1 (2022), p. 365-389
5 : https://www.tourismelandes.com/visite-semaphore-messanges
6 : https://www.geoportail.gouv.fr



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